Il lui restait très peu de temps.
Chaque semaine, c'était la même course éperdue pour grappiller quelques minutes, dérober une heure aux vampires qui comptaient sur elle pour la nourrir. Travail, transports, foyer, la vieille litanie. Contraintes dans chaque sphère. Et le soi, où était-il passé, ce petit électron pas libre écrasé par la charge du quotidien ? Quel malheureux poids lui restait-il ? La réponse était simple : aucun.
Le temps. Avoir du temps. Prendre du temps. Le mot résonnait comme le carillon, incessant, obsessionnel. Arracher quelques lambeaux et en tisser une toile pour s'en draper. Escroquer le maître du Temps, qui la narguait, se fichait d'elle. Ou lui acheter très cher une douce plage de jours entiers sur laquelle elle s'étendrait, égrenant les secondes du bout des doigts, savourant chaque instant du bord de la langue.
Et cela arriva. Un week-end entier, seule. Ses parasites s'en allaient rôder ailleurs. Elle contempla avec ahurissement ces heures qui se profilaient à l'horizon, éclaircie, accalmie, après tant de pluie. Elle n'osait y toucher, les morceler en tranches. Tant de promesses à tenir. Lire, et puis écouter de la musique, sans braillements ni questions, errer sur les trottoirs, sans listes à remplir, entrer dans un cinéma, savourer un demi à une terrasse, regarder les gens passer, appeler une amie, prendre un bain, se maquiller, changer de coiffure, se mirer dans les yeux masculins de l'univers nocturne, dormir le matin, taquinée par les rayons du soleil...
Paralysée par la crainte que, étranglé par tant d'activités, le temps ne s'étouffe, elle préféra le regarder passer, pour mieux en déguster chaque instant, ne pas assister, impuissante, au défilé des heures, à leur lente extinction.