11 février 2010
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Depuis sa huitième rupture sentimentale en moins de trois ans, Boris se métamorphosait doucement en effigie de l’émotivité. Toute séparation lui devenait insupportable, dessinant dans son esprit bovin les contours de l’abattoir. Boris au café : « A demain, j’espère », murmurait-il en étreignant la main du serveur, qui le soupçonnait depuis peu d’homosexualité latente. Boris au restaurant : « Merci pour tout, merci vraiment », sanglotait-il dans les bras du maître d’hôtel, terriblement ému à l’idée de ne plus jamais revoir cet homme bon qui l’avait placé à côté des toilettes. Boris dans le métro : « Au revoir, bon courage, bonne chance à tous », lançait-il à la cantonade, l’œil humidifié. La cantonade se regardait, étonnée et quelque peu gênée, fouillant d’un air vague dans ses poches à la recherche d’une piécette. Mais Boris était déjà loin, le regard figé sur le sol du quai qui défilait sous ses lourds pas. Toutes ces rencontres, toutes ces dislocations immédiates… quelle cruauté pour l’humanité, aurait-il pu songer s’il avait eu les circuits neuronaux intégrés. Bref, ce colosse menaçait de s’effriter. Le « bonjour » de la boulangère l’emplissait de joie, son « merci, au revoir » le jetait dans le désarroi.
Cette sensiblerie le mena droit aux urgences. Un soir qu’il rentrait du cinéma, désespéré d’avoir quitté les acteurs, Boris fut accosté par un couteau désireux de le délester de son portefeuille. Boris aurait pu se contenter de satisfaire ce simple désir d’acquisition, mais… il n’en pouvait plus de seulement croiser la route de tant d’êtres. Transformé en fontaine abondante, il voulut serrer sa nouvelle connaissance dans ses bras. La lame qui se planta près du cœur le décongestionna pour un temps de son émotivité débordante.
Published by Valérie Bezard
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Série : Boris